Sur le canal
Il y a quelques temps, je partais pour une matinale balade.
Il faisait un temps superbe qui se prêtait terriblement à la promenade.
J’allais gaiement vers le cadre favorable à ma rêveuse flânerie.
En marchant, je dépassais un vénérable cerisier tardif tout fleuri.
Derrière cet illustre tronc, un jeune pêcheur en habits rafistolés.
Pêcheur, je le supposais à sa canne sommaire, bricolée
et à un seau bosselé juste rempli d’eau sans le moindre goujon.
Il débutait peut-être ou s’installait à l’instant en guettant le poisson.
Je continuais d’un pas léger jusqu’à mon havre préféré.
C’était un petit coin rien de moins banal mais qui s’y oubliait,
se sentait rempli, content, car sa tête n’était plus pleine de soi.
C’était un luxe que je m’offrais davantage que parfois.
De retour de ma longue marche, je m’arrêtais au cerisier tardif.
La fébrilité du mouflet semblait usée et le seau juste rempli d’eau.
Je remarquais une boite à pastilles ouverte sur des vers pas jojos.
Le ventre du gosse grognait autant qu’il espérait prendre une truite au vif.
Je m’éclipsais pour gagner un coin que je connaissais déjà,
les turricules ne trompaient pas, les vers étaient bien là.
Je fis la danse de la pluie et les vers, qui ne voulaient pas se noyer,
remontèrent bien vite de terre, juste à ma portée.
Lourd de ce trophée, j’envisageais déjà son futur délice.
Mais si je disais au petiot que ses appâts étaient trépassés,
il pourrait penser qu’il n’était qu’un bon à rien, un raté
et ça je ne le voulais pas. Il me faudrait jouer de malice.
Après tout, de quoi je me mêle ? Que sais-je de ce gamin ?
Qui suis-je ? Pour qui me prends-je ? Est-ce toute sa fortune
et le futur espoir déchu de n’en attraper aucune ?
Un illusoire festin qui se réduit en peau de chagrin.
On oublie le poids du mot de l’adulte sur l’enfant crédule
qui pense que l’adulte est quelqu’un qu’on adule.
Et quid de l’adulte abruti qui perpétue le sévice ?
Que faire … et si je lui demandais de me rendre service ?
Je lui mentirais un peu, c’est vrai, mais rien de bien dur.
Allez ! Ce sera fait. — Dis-moi minot, je vois tes vers et j’en ai besoin.
Tu me sauverais la vie, pour sûr, tu ne sais pas à quel point !
N’aie crainte, je te laisse ceux-là pour faire bonne mesure.
L’enfant surpris devant mes vers vivants me tendit les siens fatigués.
Je le remerciais avec chaleur et partis aussitôt d’un pas pressé,
juste assez loin pour le deviner remonter son premier festin.
Aujourd’hui, il aurait l’âme belle et le ventre plein.
Il m’avait touché de ses belles espérances.
J’y retenais deux leçons en tout point édifiantes :
On projette, sur les autres, nos propres fissures accablantes
et il ne faut jamais se fier aux appâts rances.