Autrefois, quand je débutais en dessinage, gambadant deci delà, la plume en avant et le nez dans le vent, je mettais une énergie, un effort considérable dans un seul et unique dessin. J’y passais des soirées entières et des entières semaines de soirées. Quand je le regardais pour contrôler sa qualité d’exécution, je le regardais à la hauteur de l’effort fourni et non à la qualité du trait. Ribot que j’étais.
Comme je ne dessinais pas autant que maintenant, ma normalité était que le dessin demandait un effort formidable. J’étais un imbécile flamboyant. Effectivement, moins je m’exerçais et plus c’était difficile mais dans ma petite caboche étroite ça donnait : c’est difficile donc je ne m’exerce pas … Une tête-à-claques, vous dis-je. Ah ! si jeunesse savait et si vieillesse pouvait … Bin ça, c’est une excuse de rabougri frustré. Entre jeunesse et vieillesse, y a quand même une belle période de temps non ? Noudidiou !
J’avais aussi tendance à favoriser une technique qui me sied encore, la hachure pour ne pas la nommer – sûrement une réminiscence de mon passé de bûcheron – ET le noir & blanc. J’avais réussi à me persuader que c’était ma technique fétiche. Alors que non, pas du tout, petit trou de golf que je fusse. C’était juste que c’était celle que j’utilisais le plus donc celle que j’ignorais le moins. Un choix de confort ou de dépit est-il réellement un choix ? Bien sûr que non et, évidemment, il y a une espèce d’empafé qui a dit un jour : Choisir, c’est renoncer. Mon séant, oui ! Quel odieux personnage, moi qui n’aimais pas renoncer – qui d’ailleurs aime ça ? – je ne choisissais pas non plus … Alors que nous pouvons très bien choisir de faire une chose PUIS de faire l’autre ensuite. Non ? Quelle angoisse, mes aïeux.
Voilà pour la hachure, maintenant le N&B. Voyez-vous, en plus de ma sottise récurrente et récurante – si, si, ça use -, je souffre d’une tare. Je suis daltonien. Enfin j’en souffrais, maintenant je m’en carre de la tare. Mais figurez-vous, dans ma petite tête de gosse, quand je présentais un de mes dessins à une figure d’autorité – un « adulte » qu’ils appellent ça – avec joie et fierté et de m’entendre dire, d’une voix monocorde et nasillarde, que ce ne sont pas les bonnes couleurs, au bout d’un moment bin ça te démolit. Alors N&B. Pis tu sais, même si t’es sûr de ton coup, c’est quand même rassurant d’obtenir un avis tiers. L’adulte ne se rend pas compte de son potentiel de dévastation sur un enfant…
Maintenant je dessine tout le temps, je griffonne, je gribouille. À ceci près que je dessine pour comprendre la forme, le mouvement, la logique. Plus je dessine et plus je suis à l’aise donc moins j’y mets d’effort. Je n’ai aucun regret à refaire cent fois un dessin. Et plus je dessine, plus je dessine vite, l’œil s’est habitué à décomposer en formes simples des formes complexes et le compliqué s’est évaporé !
Maintenant, j’y suis revenu à la couleur et j’use de stratagèmes. Les couleurs sont écrites sur mes crayons et je connais la théorie des couleurs. Si jamais je me trompe et bien tant pis, tant qu’à mon œil cela convient, car mon dessin, c’est mon regard sur le monde ! C’est juste que je n’en vois pas certaines de ces foutues couleurs ou différemment. Toute couleur rouge ou avec une touche de rouge quand elle est avec une autre couleur proche, je ne fais pas la différence. Un bleu et un violet, un rouge et un marron et plus bizarrement, un vert très clair et un jaune.
J’ai appris dernièrement que les femmes avaient quatre récepteurs de couleurs contre trois pour les hommes et entre 1,5 et 2,5 pour moi. Mesdames, je vous en prie, je vous en supplie ! Faites-moi la grâce de votre regard !