Quand j’étais minot et, à partir de mon entrée au collège, je fus très vite catégorisé comme « punching ball ». De constitution malingre, asthmatique, avec des lunettes de vue et d’un teint de peau qui rappelle à s’y méprendre une paire de fesses n’ayant jamais vu le moindre rayon de soleil de sa vie, j’attirais, joyeusement à moi, les bourreaux en manque de victime et autres fanatiques de la loi du plus fort.
Et que pouvais-je y faire ? En référer à une autorité compétente ? J’y avais bien pensé mais soit on m’accorderait crédit, et mes bourreaux s’empresseraient de me remettre une danse, histoire que je comprenne bien la cadence, petit jeu pendant lequel c’était moi qui m’amusais le moins. Soit l’autorité sus-nommée, me dirait que j’affabule, que j’invente, que je fantasme pour me rendre interessant, pour qu’on s’occupe de moi.
Alors que faire à part attendre que ça passe ? C’est un viol comme un autre. L’instinct de survie nous dit que faire le mort est la seule façon d’en sortir en vie et nous sommes incapables de ne plus faire ou penser quoi que ce soit. Après coup, je pestais de mon impuissance, de ne pas être plus grand, plus fort. J’enrageais de ma condition. Je m’en prenais à moi plutôt que de conspuer la bassesse d’esprit de mes joyeux camarades. Je ne crois pas qu’il existe de mot en français et, à l’époque, je n’en connaissais aucun. En anglais, le verbe existe. C’est « to bully ». En français, ça donnerait trouver un souffre-douleur et le persécuter voire lui soutirer de l’argent et/ou le pousser au suicide. En un mot comme en cent, c’est souiller et détruire tout ce qui fait d’une personne, un individu.
Une fois, j’ai riposté d’un coup de pied dans les côtes de l’un de mes agresseurs. La surprise ou la douleur, l’avait fait lâcher prise. J’avais gagné un temps, un répit, et j’attendais de pouvoir entrer dans la salle de classe qui était un sanctuaire pour moi, une zone de non-agression. Pourtant la riposte fut, non pas immédiate, mais fourbe et d’une bassesse sans nom. Cet espèce de petite enflure dont je me souviens parfaitement le nom mais que je tairai ici, profita de l’attente devant la salle de classe avant d’entrer en classe pour m’asséner un coup de poing violent dans les parties génitales. Alors qu’une douleur fulgurante autant qu’indicible me mettait à genoux, il en profita pour m’asséner que ce n’était que justice, que ce n’était que la conséquence de mes actes tout en repartant rapidement.
Deux camarades de classe qui m’avaient vu tomber à genoux, vinrent s’enquérir de mon état de santé. Incapable de parler tellement la douleur me suffoquait, ils décidèrent de m’emmener à l’infirmerie. Marcher me soulageait un peu et je pu leur raconter ce qui m’arriva. Je n’eu plus le besoin d’aller à l’infirmerie, nous retournions en cours. J’ai appris un peu plus tard que mes deux camarades prirent le temps d’une conversation avec mon assaillant et que depuis lors, celui-ci ne m’embêterait plus, lui aussi sombrait dans la peur.
Ces deux camarades là, dont je tairai le nom également et qui ne se souviennent probablement pas d’une scène somme toute quotidienne, m’ont sauvé d’un tortionnaire et du désespoir qu’un enfant de 11 ans ne devrait pas connaitre, jamais. Toujours est-il que depuis ça, j’ai commencé à sortir en douce du collège pendant les récréations pour ne plus avoir à croiser mes différents persécuteurs puis au lycée, les cours aussi. Pensant que la fuite était la seule échappatoire.
Depuis j’y ai repensé, je suis devenu quelqu’un de tenace que l’injustice insupporte au plus haut point et là n’est pas l’objet du texte. À vous deux, mes chers camarades, puissiez-vous me lire et vous reconnaitre en mes mots, merci de toute mon âme.